Archives départementales

Petites histoires d'archives # 12 « Bien chère Niny et petit François chéry, … je suis prisonnier depuis le 4 juin… »

AD11_31Dv1 © Archives départementales de l'Aude

Voilà bientôt 80 ans que Pierre Loupia, né à Trèbes en 1909, fut prisonnier de guerre à la caserne Foch à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Le 14 août 1940, il écrit à son épouse et à son fils, avant de s’évader quelques jours plus tard.

 

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"Bien chère Niny et petit François chéry"

"J’essaye aujourd’hui de te faire une longue lettre parce qu’il y en a du camp qui compte partir aujourd’hui et qui rejoignent le Midi, ceux-là ont de la veine, à quand notre tour. Ce sont des employés de gare ou des hommes de la police. Tu sais Nine, ça fait mal au cœur d’en voir partir et nous falloir rester ici, ne nous fachons pas trop de notre sort, il y a certainement des prisonniers qui sont plus malheureux que nous. Je suis prisonnier depuis le 4 juin, j’ai été pris à Malo les Bains à côté de Dunkerque, j’ai passé une semaine dans le sable, ce n’était pas le reve, de là on ma envoyé a Rexpôde [Rexpoëde] ou j’ai passé quinze jours, c’était du véritable camping et en ce moment nous sommes en caserne à St Omer. Je me rappellerai toujours de cette ville, l’accueil que nous avons eu de la population de cette dernière est imense, on nous a donné de quoi manger pendant 8 jours. En ce moment ça va on peut acheter ce que l’on veut parce qu’on nous paye. Nous gagnons 8 [francs] par jour, grace à cela nous mangeons a notre faim, C’est quand [même] difficile pour trouver de la marchandise, les Allemands l’acaparent. Quand au pain, nous avons celui que nous voulons, dans les débuts qu’il fallait manger le pain noir des Allemands il n’était pas trop a notre goût, enfin souhaitons de ne pas souffrir davantage et que la classe arrive vite. Et vous que faites vous ? J’imagine que vous devez être plus malheureux que nous, le pays doit être envahi de réfugiés. Et toi ma chérie que fais tu ? Quelle ne serait pas ma joie si je pouvais recevoir de tes nouvelles pour savoir ce qui se passe. Tu dois te créer des idées noire a mon sujet, sois tranquille Nine, encore une fois je ne suis pas malheureux, j’attends avec courage l’heure de notre libération. Je termine pour aujourd’hui ma chérie en t’embrassant bien fort. Et François que fait-il ? Je languis beaucoup de l’embrasser. Mille baisiers a vous tous."

L'évasion

Dix ans plus tard, en 1950, Pierre écrit le récit de son évasion. Il décide de quitter la caserne avec un camarade, Roger Cathala, d’Olonzac (Hérault). Le samedi 20 août 1940, après le dîner, ils se dirigent vers l’infirmerie, déjouant alors la surveillance de deux sentinelles. Ils sautent par-dessus un mur et s’échappent. Au dehors, ils croisent un jeune garçon qui, comprenant qu’ils étaient des soldats français, leur propose de les héberger pour la nuit. Ils repartent le lendemain, à 5h du matin, direction Aire-sur-la-Lys, à la recherche d’un train pour Arras, puis Amiens et enfin Paris. Mais, il restait ensuite à passer la ligne de démarcation. Un employé de gare leur donne alors un conseil « Il nous dit voilà : il passe des trains sur cette voie, l’heure je n’en sais rien, il faut vous camouffler derrière ce talus et soyez prudent parce qu’il y a des sentinelles qui sont de l’autre côté ». Sortant de leur cachette, ils sautent alors dans un wagon à bestiaux et vont ainsi jusqu’à Châteauroux, puis à Carcassonne.

 

Parmi les 1 850 000 militaires français faits prisonniers par les troupes allemandes en 1940, tous n’ont pas la même chance que Pierre Loupia. Seuls 250 000 environ réussissent à s’échapper des camps de transit avant leur départ pour l’Allemagne. En 1940, ce sont 9080 audois qui figurent sur la liste nationale des prisonniers de guerre. Deux ans plus tard, ils sont encore 6460, et la plupart d’entre eux ne retrouvent leurs familles qu’à la fin du conflit.

Fonds de M. Xavier Loupia (31 DV 1-2 et 7-10), prêté pour numérisation en 2006.